Il faut sauver l’Atelier du charron creusois !
Lorsque Pierre nous invite dans la maison de ses ancêtres, nous sommes loin d'imaginer la surprise qu'il nous réserve ! Ce septuagénaire creusois (qui sait bigrement bien ménager ses effets) nous fait d'abord visiter la maison où, depuis plusieurs siècles (voire paires de siècles), des enfants de paysans creusois grandirent, mangèrent et dormirent au chaud autour de 2 cheminées et d'un four.
Le temps se fige quand Pierre nous montre (fixé au montant de la fenêtre) le petit coussin dans lequel les paysannes plantaient leurs aiguilles lorsqu'elles avaient fini de coudre. Bien que passées, les couleurs de l'époque (gris et bordeaux) sont encore visibles sur les boiseries. En 2002, afin de mettre le bâtiment à l'abri, Pierre fait sagement refaire la toiture de son bijou.
Pierre et Monique (son épouse) font des recherches généalogiques. Ils apprennent ainsi, grâce à un document retrouvé par Jean Ducher (qui est l’oncle de Pierre) que c’est le 18 février 1813 que Jean Legros (attention, suivez bien...), arrière-grand-père de la grand-mère maternelle de Pierre, achète cette maison et le domaine agricole qui y est attaché à un certain Michel Pipault (qui était encore taillable en 1789... du moins jusqu'à la Révolution).
Marie Clarisse Legros accepte de prendre pour époux Paul Alexandre Ducher, dit "Le Charron" (car, en 1904, il pratique le métier de charron). Vers 1905, Paul Alexandre Ducher (qui est le grand-père de Pierre) construit alors son atelier-boutique au bout de la maison, y installe ses outils (de charron) et ses gabarits, puis monte sa forge dans une annexe en briques.
Nous frétillons comme des enfants gourmands quand Pierre nous amène enfin à la forge. Nous ouvrons tout grand nos mirettes devant le soufflet, fatigué par l'ouvrage, et titubons (quasiment) face à l’enclume et aux machines à percer ou à cintrer, toutes rouillées par tant d'inactivité. Nous réalisons peu à peu que nous sommes en train de découvrir des lieux et des objets aujourd'hui si rares !
L'atelier-boutique regorge aussi de surprises : Pierre nous y fait découvrir des pots de poudre bleue, de celle qui servait à colorer les charrettes et les brouettes que les charrons fabriquaient pour les paysans. Nous admirons également la collection des gouges de l'artiste. Sagement accrochées au mur, elles semblent prêtes à retravailler... sous la conduite de mains expertes !
Quelques autres objets nous adressent un message... Sur le coup, nous ne le comprenons pas mais, avec le recul, il nous semble désormais très clair : la roue de charrette, le collier du cheval et la vieille valise nous disent, dans leur langage muet, que le charron est parti et qu'il ne reviendra plus. C'est ainsi : la société du 21ème siècle n'a plus besoin d'artisans charrons !
Pourtant, quelques instants plus tard, nous découvrons que le charron qui a travaillé là a laissé un joli stock de pièces de bois au dessus de l'atelier : des morceaux de roues, joliment galbées, semblent mourir d'envie d'être assemblées. Pierre nous montre l'endroit, par terre, devant la "boutique", où était chauffé au rouge le fer destiné à cercler le bois de la roue.
Ce cerclage était ensuite refroidi avec l'eau du lavoir... Il est toujours là, à quelques mètres en contrebas. Pendant la 1ère guerre mondiale, Paul Alexandre Ducher sert dans l'artillerie et passe une partie de la guerre à réparer des roues de canons. Au cours de la seconde guerre mondiale, la forge devient le théâtre d'une histoire vraiment, vraiment singulière...
Jugez vous-même... Nous sommes en septembre 1943 : le docteur Léon Martin (maire de la ville de Grenoble), évadé d’une prison italienne, vient se réfugier en Creuse. Il va rester caché jusqu'en juin 1944 derrière la forge (dans l'ancienne chambre des domestiques). Pendant tout ce temps, il fait des consultations aux habitants du village (qui vont ensuite, avec leur ordonnance, chercher tranquillement leurs médicaments à la pharmacie la plus proche).
Aujourd'hui, Pierre cherche comment il pourrait s'y prendre pour (selon ses propres paroles) "mettre en place un processus de restauration de la forge et de la maison". Nous, nous trouvons admirable qu'un jeune septuagénaire creusois garde ancré en lui une si puissante envie de sauvegarder le patrimoine de la Creuse de ses ancêtres...
Pas vous ?