VOICI POURQUOI LA VILLE (CORREZIENNE) DE TARNAC EST DEVENUE ROUGE VIF...
En 1848, 95% des 570 électeurs de Tarnac (en Corrèze, pour ceux qui connaissent) votent pour que Louis Napoléon Bonaparte devienne président de la République. Puis, en 1851, ils approuvent sa politique... Tout va bien : le prix du bétail augmente et, avec l'argent que les paysans-scieurs de long-saisonniers ramènent au pays, ils peuvent acheter quelques parcelles de terre.
Quand ils se marient, ils font en sorte de ne pas disperser les biens des familles : les récoltes doivent continuer à tous les nourrir ! Le dimanche, les hommes vont au café pendant que les femmes sont à la messe (et le curé n'a rien à dire : c'est ainsi !). Puis, les scieurs de long commencent à quitter les forêts du Sud-Ouest pour s'embaucher à Paris ou à Lyon (où les salaires sont bien meilleurs).
Aux côtés des maçons et des tailleurs de pierre de la Creuse, ils font grève en 1906 et obtiennent avec eux la réduction de la journée de travail (de 12 à 10 heures) et 1 jour de congé payé par semaine. Certains d'entre eux deviennent par la suite chauffeurs de fiacres ou de taxis et, en 1911, participent à la grève de l'Union Syndicale et Coopérative des Cochers et Chauffeurs...
Cette Union (ancêtre de la CGT) bloque les taxis du Garage N°7 des Taxis Parisiens (qui deviendront plus tard les Taxis G7). Le président Raymond Poincarré ordonne alors à l'armée de libérer ce dépot. Lors de l'assaut, le Tarnacois Jules Bedhomme est tué et la grève s'arrête aussitôt
(les grévistes demandaient que la journée de travail passe à 8 heures et voulaient aussi avoir une assurance maladie et chômage).
En 1914, les socialistes de la SFIO et la CGT manifestent contre le service militaire de 3 ans et contre l'entrée en guerre de la France. A Tarnac, les "Tarnacois de Paris" (qui, comme chaque été, sont retournés au pays pour y faire les foins) sont stupéfaits d'apprendre l'assassinat du pacifiste Jean Jaurès. La guerre éclate et plus de 300 jeunes hommes de Tarnac partent au front...
197 d'entre eux en reviennent : blessés, amputés ou les poumons détruits par les gaz, ils haïssent désormais la guerre et l'armée. Tarnac se détourne aussi de la foi et, en 1919, vote massivement pour les socialistes. Le boulanger François Louis Banette est élu maire SFIO à Tarnac et, en 1920, les délégués socialistes de Corrèze votent le rattachement à l'Internationale.
Puis, aux élections de 1924, 73% des électeurs de Tarnac votent pour la liste communiste (ils seront 80% en 1936). L'exode rurale s'amplifie et le député communiste Marius Vazeilles aide ceux qui restent à s'organiser en syndicats paysans et à créer des coopératives d'achats (pour les semences et le matériel agricole mécanique, lequel commence à entrer timidement en Limousin).
Mais les prix des produits agricoles s'effondrent et les syndicats paysans doivent s'opposer aux huissiers qui veulent saisir les biens de ceux qui ne peuvent plus rembourser leurs emprunts. Les manifestations, qui ont lieu à Tulle, sont réprimées par la police. En 1937, un syndicat-coopératif voit le jour à Tarnac (tandis que les Tarnacois de Paris créent la mutuelle La Fraternelle Automobile).
Léon Blum demande alors au député corrézien Marius Vazeilles de devenir son ministre de l'agriculture... mais le parti communiste (qui refuse d'entrer dans le gouvernement) s'y oppose. En 1939, quand Hitler et Staline signent entre eux un pacte de non agression, les communistes du canton de Bugeat sont convaincus qu'il s'agit d'une ruse de Staline pour berner Hitler et les nazis !
En 1940, le gouvernement de Philippe Pétain démet le député communiste Vazeilles de son mandat et le conseil municipal communiste de Tarnac est remplacé par des délégués gouvernementaux. Des réfugiés juifs sont assignés à résidence à Tarnac (où ils seront massacrés par les S.S. le 6 avril 1944). Le communiste Georges Guingouin organise quant à lui la Résistance à l'occupant...
Il regroupe des paysans de Corrèze et de Haute-Vienne au sein des FTP (Francs Tireurs et Partisans). Lors de sa venue à Tarnac, les gendarmes ont été prévenus et Guingouin doit fuir. Toutefois, une trés grande majorité de la population de Tarnac soutient et ravitaille activement les FTP (d'autant plus que 80 communistes Tarnacois sont FTP et que d'autres sont dans l'Armée Secrète des gaullistes).
Une vingtaine d'habitants du canton sont fusillés par les Allemands en 1944 mais l'union de tous les réseaux de Résistance réussit à libérer la Haute-Corrèze. Le parti communiste, qui est devenu en 1945 le plus important parti de gauche dans tout le Limousin, peut alors, en 1946, s'énorgueillir de posséder au moins 2 députés dans chacun de ses 3 départements...
En 1951, le parti communiste recueille 40,4 % des voix en Corrèze, 39,9 % en Creuse et 39,1 % en Haute-Vienne. Alors qu'ils commencent à disparaître un peu partout en France, les communistes restent N°1 dans le Limousin jusqu'en 1978
(tandis que les jeunes quittent un à un le pays, deviennent flic ou fonctionnaires et habitent dans une HLM où ils bouffent du poulet aux hormones... dit Jean Ferrat).
A Tarnac, les exploitations agricoles qui perdurent sont plus grandes, mieux équipées et... plus endettées ! Le Crédit Agricole ouvre une agence à Bugeat, où les socialistes et la droite sont désormais presqu'à égalité avec les communistes. Une partie des paysans du canton trouvent même que le ministre de l'agriculture (un dénommé Jacques Chirac) est bien sympathique !
Et en plus, ce ministre là, il vient souvent manger au restaurant à Tarnac ! En 1981, les communistes tarnacois, qui classent François Mitterrand dans la catégorie "grand bourgeois", décident de ne plus suivre la ligne du Parti Communiste Français... Tarnac restera cependant une commune "rouge vif" jusqu'en 2008 (ainsi que le canton de Bugeat) !
A lire : "Tarnac, une commune rouge", de Brigitte Favrie-Banette (dans le N°22 de l'excellente revue D'Onte Ses, publiée par le Cercle de généalogie et d'histoire des Marchois et Limousins)