Petite Creuse est une jeune fille née dans la région de Lavaudfranche. Très vite, elle sait gambader dans les prairies et passe en gazouillant à côté des bourgs de Boussac, Genouillac, Malval, Chéniers et Fresselines sans jamais faire mine de s'arrêter.
Ici et là, quelques pêcheurs menaçants viennent fouetter l'air de leurs gaules. Puis ils s'apaisent, retombent sur leurs tabourets et, les yeux cachés sous le rebord du chapeau, font croire qu'ils philosophent sur le temps alors qu'ils somnolent.
A Boussac, effarouchée, elle prend ses distances avec l'imposant château. A Genouillac, apaisée, elle se refait une beauté. Puis elle embrasse le timide moulin de Malval et, allumeuse, lèche le pied des ruines du château médiéval... tout en faisant le gué.
Sous l'épais couvert des feuillus et de rares résineux, le soleil tente une percée. Peine perdue : d'avance, à l'échec elle est vouée ! Il parvient cependant, ici ou là, à oser un regard sur la surface assoupie de Petite Creuse. Alors, farouche, les eaux se réveillent et prennent la fuite.
En arrivant au moulin de Piot, elle fait semblant de se mettre en colère (parfois, elle se fâche pour de bon et emporte tout). Des jeunes, venus du monde entier, lui font une fête. A Chéniers, vite fait, elle prend un bain d'huile... moteur, quelle horreur !
Petite Creuse aime également, elle qui jamais encore n'a quitté son pays natal, créer d'étonnants jardins japonisants. Elle les fait toute seule, sans qu'aucun humain ne l'aide ! L'eau brune y caresse harmonieusement les peaux rugueuses des roches affleurantes.
Le minéral cesse parfois de lutter contre ses remous abrasifs. L'écume et les bulles nerveuses inspectent le moindre recoin des roches vaincues qui, tel un banc d'otaries cubiques, laissent faire en musardant au soleil.
Des humains tombent amoureux d'elle à Fresselines. Ils vénèrent son humeur, tantôt guillerette ou tantôt paisible, ses rondeurs juvéniles, les savantes couleurs dont elle se maquille au gré des saisons... Et qui est le plus fou de sa beauté ? Vous le savez, c'est le peintre Monet !
Par tous les temps (en l'an 1889), le pauvre Claude Monet vient s'asseoir au pied de son lit et, de la pointe de sa brosse, immortalise les insaisissables reflets argentés de sa chevelure. La mutine, dans une pirouette bouillonnante, file en laissant échapper un rire cristallin et moqueur.
L'été, elle aime se faufiler entre les piles de vénérables ponts romains et romans et abandonner quelques grèves aux jeux des enfants.
A l'ombre des rives, mimant d'invisibles couleuvres, des sentiers de pêcheurs ondulent entre les herbes hautes ou sur la mousse humide.
Quelques branches basses en profitent pour l'embrasser.
Las de refaire son gué et de remettre en place les lourds plots de béton qu'elle bouscule chaque année, les humains ont décidé de construire une passerelle qui l'enjambera. C'est dommage.
Au confluent, elle rencontre sa grande soeur, la sérieuse Creuse, domptée par les barrages. Du coup, Petite Creuse n'ose plus trop faire la folle et jouer à saute-cailloux.
Alors, ensemble, elles se laissent couler jusqu'à Crozant. Là, la belle Sedelle se joint à elles...
Petite Creuse, il faut le dire, en est un peu jalouse.