"supprimez 141 municipalités en creuse !" demande le préfet
En Juin, le ministre de l'intérieur a demandé aux 3 préfets du Limousin de lui fournir une liste des communes qu'il serait possible de regrouper. Il veut réagir face à la diminution des populations rurales, à la difficulté de trouver des maires et des adjoints... et, par la même occasion, compte ainsi réaliser quelques belles économies.
De Guéret, après mure réflexion, le préfet de la Creuse lui adresse en retour un courrier. Dans sa lettre, ce zélé serviteur de l'état affirme qu'il est "souhaitable de supprimer 141 municipalités en Creuse" (soit presque la moitié). Il ajoute qu'il aurait "bien voulu en proposer plus mais, pour les autres, c'est géographiquement impossible"...
Vous pensez qu'il s'agit d'un canular ?
Détrompez-vous ! Tout ceci est rigoureusement authentique ! Précisons toutefois que le ministre en question se nomme Lucien Bonaparte et que sa demande aux préfets date de 1800. La réponse du préfet de la Creuse date de 1801 et elle est toute aussi véridique.
Une fois connu, le projet déclenche une virulente protestation des élus et le gouvernement fait rapidement marche arrière. Finalement, 4 communes seulement sont rattachées à leurs voisines (en 1814). Mais le pouvoir ne désarme pas pour autant : en 1816, il revient à la charge. Le ministre de l'intérieur déclare qu'en cas de refus, les conseils municipaux récalcitrants seront dans l'illégalité !
Parmi les arguments avancés pour justifier les suppressions des toutes petites communes figurent la faiblesse de leurs ressources, la grande difficulté de trouver un maire sachant lire et écrire, et "l'impossibilité de s'opposer à l'envahissement des biens communaux". Mais les élus persistent : la quasi totalité des conseils municipaux creusois votent contre la disparition de leur commune !
Leurs contre-arguments sont que les finances municipales sont saines, que les bâtiments communaux sont bien entretenus et que, de toutes façons, le chef-lieu envisagé par l'état est trop loin ! Face à cette rébellion générale de la Creuse, les gouvernements successifs marchent sur des oeufs et ne suppriment QUE 31 communes.
Une trentaine d'années plus tard, en 1848, le suffrage universel est institué. Changement de stratégie ! Les gouvernants comprennent très vite qu'il est préférable pour eux de maintenir en l'état les très petites communes. Le clientèlisme politique, si prisé par leurs députés ruraux, y est plus aisé. De plus, les électeurs des campagnes restent majoritaires et il serait stupide de se les aliéner en voulant supprimer leurs Mairies, si petites soient-elles.
C'est pour toutes ces raisons que, dans la Creuse, les regroupements de communes cessent jusqu'au milieu du 20ème siècle. Les derniers datent de 1964 et 1973.
A contrario, 5 nouvelles municipalités sont créées dans le département : Pontcharraud, Puy-Malsignat, La Forêt-du-Temple, Lavaveix-les-Mines et La Villeneuve... mais c'est au cours des deux cent dernières années !
"Qu'est-ce que sera demain ? Le début ou la fin ?" (Yves Simon).